On ne nous a accordé qu'un rêve et un baiser de regards
Il crut au temps et lui confia son espoir en agonie. Il le lui prit et en fit une promesse qu'il ne tiendrait plus. Le temps le tenait dans ses bras, puis, ce jour-là, il glissait et se brisait, vidé même de ses bribes, et livré à la merci des illusions. Nadia n'était plus qu'une utopie, elle ne lui avait accordé qu'un rêve. C'est quand j'en fus convaincu que tout bascula. Elle lui était indispensable. Peut-être qu'il y croira enfin, car c'était décidé qu'ils ne seraient jamais ensemble. Il l'avait d'abord aimée en secret avant de le lui dévoiler. Il pensait que ce n'était pas nécessaire, car il avait toujours pressenti que ce ne pouvait être une relation fondée. Elle était une femme et avait quatre printemps de plus que lui. S'il était convaincu qu'elle l'aimait en retour, quand elle disait avoir aussi des sentiments pour lui, faire d'elle un jour la femme de sa vie relevait d'un miracle.
Ce jour-là, il semblait avoir le courage de reprendre cette phrase qu'il lui avait donnée. Je veux que tu saches qu'un homme t'aime, avait-il articulé naturellement, sans circonlocution, sous le regard témoin et le silence complice de la bibliothèque qui s'était vidée après le café littéraire. Il avait plus tard vu en ce geste un symbole. Ils partageaient déjà les mêmes centres d'intérêt et avaient ce lien le plus intime : la littérature. Quand ils en parlaient seulement, ils entraient en transe. Ils échangeaient autant de livres que de propos banals. Cette salle de bibliothèque avait entendu leurs retours de lecture, leurs discussions sur l'actualité et leurs éclats de rire en quelques moments timides de joie. Ces livres qui avaient aussi entendu cette belle phrase lui étaient symboliques.
Il ne fallait pas venir ; enfin, il se donnait raison.
Il était assis, avec son attrait de prince dans son bazin[1], y pensait, et ne quittait pas des yeux Nadia, qui, souriante et intéressée par l'événement, semblait l'ignorer. Elle lui apparaissait encore plus belle dans sa robe ; il s'en est rendu compte, c'est à ce moment qu'un sentiment malheureux sans nom le fustiga. Ensuite, comme si elle sut finalement qu'il la regardait profondément, les yeux de Nadia répondirent à son appel. Elle ne souriait plus quand elle le vit. Ce moment pourrait être qualifié d'un baiser de regards. Des regards qui s'enlacent et s'embrassent en face des souvenirs qui les séparent, mais qui les lient aussi. Ceux qui crachent un mot qui était pris dans la gorge, qui trouvent une question à nos réponses qu'on pensait exactes. Ils ne se quittaient plus des yeux. Je dirais que leurs regards étaient les seuls destinés à faire l'amour. Le sentiment sans nom le fustigeait encore ; ces yeux jouissaient de peine et affichaient une larme qu'il se pressa d'escamoter, mais elle l'avait vue. Il tenait, mais cette fois-ci c'en était de trop ; il sombrait définitivement. Il s'était levé et avait lancé un heureux ménage aux deux époux devant lui avant de quitter la salle de cérémonie, les mains dans les poches.
Bazin [1]: Étoffe africaine à base de coton teinté artisanalement.
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C'est doux de l'entendre .
RépondreSupprimerOn y va