On ne nous a accordé qu'un rêve et un baiser de regards ( Ⅲ )











Il crut au temps et lui confia son espoir en agonie. Il le lui prit et en fit une promesse qu'il ne tiendrait plus. Le temps le tenait dans ses bras, puis, ce jour-là, il glissait et se brisait, vidé même de ses bribes, et livré à la merci des illusions. Les années sont passées avec leur vent de l'oubli. Et ils ont emporté les souvenirs. Les regards avaient cessé de hanter ses nuits. Ce qui avait conquis son cœur, jusque-là, ne fut pas la tranquillité. Mais plutôt un désir intrépide de ce que nous offre le temps. Oui, ce même temps qui n'avait pas pu tenir sa promesse. Et qui lui avait tout arraché. Cette fois-ci, il lui avait cédé son souffle, ce qui lui restait.

Il montait les marches qui mènent à la petite rue en pente. Puis il descendit et longea l'avenue où se trouvait la bibliothèque. Il voulut arpenter des artères pour ressentir si leur atmosphère d'autrefois était restée. Une ville qui donne cette impression d'un passé figé est une ville détruite et meurtrie. Il pensa que tout a changé, et que, tel un homme, elle côtoyait des petits plaisirs qui lui étaient méconnus. Il foulait enfin le sol de sa ville. Une averse se déchaînait et il accéléra ses pas. Son corps n'était pas à l'abri. Il était sans parapluie et ne portait qu'une casquette. Il poussa la vitre de la bibliothèque et eut l'impression d'entrer dans le cimetière des souvenirs déjà disparus. La caissière, surprise de le revoir, avait éclaté de rire en battant des mains. Elle lui demanda la cause de son absence inquiétante pendant deux années. Il répondit qu'il avait voyagé pour s'inspirer et qu'une exposition de ses œuvres serait bientôt organisée en ville.

Il partit ensuite vers les étagères et remarqua que de nouveaux rayons avaient été placés. Il prit Les fleurs du mal, l'ouvrit sur son poème préféré Le serpent qui danse, et déclama les deux derniers vers :

Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille.
Pour un ciel lointain.

Une voix, qui lui est familière, derrière l'étagère poursuivait en lui arrachant la suite :

« Tes yeux, où rien ne se révèle, 
De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux froids où se mêlent
L'or avec le fer. »

L'inconnu avait ensuite contourné le mur qui les séparait. Il voyait Nadia. Il ne s'était pas trompé de sa voix, mais il ne pouvait juste pas le croire. Elle avait perdu du poids, et ses grosses lunettes semblaient être fragiles sur sa face émaciée. Il remarqua qu'aucune de ses mains ne portait de bague. Les deux se regardaient encore sans pouvoir échanger un mot. Le baiser de regards recommençait.  Des regards qui s'enlacent et s'embrassent avant le corps. Des regards qui ruminent enfin des souvenirs qui les lient mais surtout des mots qu'ils ne se sont encore jamais dits. 

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